Vous êtes ici : Accueil > Interview de M. Jean MEYER, les 21 et 22 Janvier 2008, à Strasbourg
Début 1939, mon père loua un appartement (4 pièces) à la Renaissance, quartier neuf de Chadrac, en vue d’y passer des vacances et éventuellement qui puisse servir de base de repli. Appartement situé dans la maison ‘’TOLLEMER’’ qui en contenait sept, et qui a accueilli ma famille, ainsi que celle de mon oncle M. HIRSCH (sa femme et ses deux filles), et celles d’autres strasbourgeois ou bien des familles de Saverne. Personnellement j’étais en camp d’Eclaireurs de France dans les Alpes avec mon grand ami, Jean-Claude LEVY, quand nous avons tous deux regagné le PUY. (Jean-Claude était le fils du futur bâtonnier de Strasbourg
Mon père avait replié son affaire de négoce en tissus, à Bourbonne-les-Bains (Haute Marne) jusqu’à la débâcle de 1940, avant que de ne regagner le Puy. Il a perdu à cette occasion une grosse partie des marchandises, les allemands ayant volé les wagons prêts à partir pour le Puy.
Justement parlons-en de la débâcle! A la Renaissance, j’ai vu passer un régiment entier commandé par un maréchal des logis. Il n’y avait plus d’officiers, on ne savait où ils étaient. Dans ces circonstances, à la fois cocasses et troublantes, mon cousin BLUM qui est perdu, sur le bord de la route, aperçoit ma tante, et ainsi s’installe au PUY.
Un autre de mes oncles, qui a épousé une Belge, arrive avec toute sa famille. Le groupe ‘’MEYER’’ devait dépasser les cent personnes. (Il en était de même et plus, pour les familles HELLER et KLING autres strasbourgeois).
Avec toutes ces arrivées massives de réfugiés, nous devions bien être, 400 ou 500, dans le quartier de la Renaissance, certains logés dans des conditions très limites. Une anecdote qui témoigne de la précarité du confort : ‘’M. et Mme Théo. HEIMMENDINGER n’avaient trouvé pour refuge qu’une boutique sans eau. Ils traversaient la rue, avec régularité, munis d’un carton à chapeaux qui dissimulait, en fait, un pot de chambre ! ‘’Il faut dire, que j’ai eu une scolarité répartie sur trois lieux. D’abord au Puy, au lycée Charles et Adrien DUPUY, puis les circonstances m’ont amené à Brioude, enfin à St Chamond chez les pères ‘’maristes’’. Mais nous y reviendrons par la suite.
Mon sentiment est qu’à l’époque, la majorité des gens croyaient en PETAIN. Trois à cinq pour cent d’entre eux pouvaient être résistants, trois à cinq pour cent soutenaient le régime de Vichy, les autres, sur ces engagements étaient plutôt :’’Je m’en foutistes’’. Dans les villes on pensait plus aux problèmes de nourriture, qu’aux hostilités diverses. ‘’L’antisémitisme’’ ne paraissait pas n’exister que partiellement, ici en Haute-Loire, par rapport à d’autres lieux du territoire français. D’ailleurs à ma connaissance, on ne peut noter qu’un nombre restreint de dénonciations suivies d’arrestations. Une preuve me semble-t-il de cette affirmation, est que, à la Renaissance, au milieu de nous tous, habitait le Président de la ‘’Légion ponote’’ ; on ne peut pas dire qu’il ne savait pas que des dizaines de juifs logeaient près de chez lui. Autre anecdote : En Octobre 1939, un camarade de lycée est étonné de : « connaître un juif, pour la première fois ! » et me fait part de sa surprise. Il n’y donna aucune suite, même si, à la Libération, il fut arrêté en situation de ‘’collabo’’, notamment pour avoir tiré sur la foule des ponots qui fêtaient la libération.
Mais, suivant les évolutions du conflit, les lois antijuives, l’occupation de la zone sud, les choses en furent modifiées, et devinrent plus difficiles sur la fin. Il advint un temps où il fallait mettre un coup de tampon ‘’Juif ’’ sur les cartes d’identité. Cela me valut un échec au ‘’bac’’, nous y reviendrons plus tard.Disons que sûrement au Puy, la situation y était un peu exceptionnelle. Nous sommes, aujourd’hui pratiquement certains, que le Major SCHMÄHLING, commandant de la place, a agi certes en militaire occupant, mais pas en officier nazi. D’ailleurs, Mme TROCME, femme du pasteur du Chambon sur Lignon disait, en parlant du Major : « Il savait, mais ne voyait pas ! ». Il y eut cependant l’épisode de l’attentat manqué contre le Procureur BERNARD. Des otages civils ont été arrêtés. L’intervention de Monseigneur MARTIN (évêque du Puy) fut efficace puisqu’elle permit leur libération. Mais la Gestapo de Clermont-Ferrand n’apprécia pas la chose et donna ordre d’arrêter des otages juifs. Ainsi, mon oncle, ma tante, ma grand-mère furent retenus prisonniers, avec d’autres, ‘’à la Poste’’ (lieu différent de la Poste d’aujourd’hui). Les plus âgés furent relâchés, quant aux plus jeunes, ils furent déportés. Ils ne revinrent jamais.
Il faut dire, en toute objectivité, que pour bon nombre des tout-jeunes, nous étions fortement insouciants, et vivions pleinement les moments de détente qui se présentaient à nous, dans une mixité totale entre lycéens. Ce sont surtout les parents qui étaient plus anxieux, avec une juste raison, si l’on se réfère aux arrestations, contrôles ou tracasseries qui advinrent par la suite.
En exemple trouvé dans les mémoires de ma sœur, Françoise KAHN : « Un jour maman avait rassemblé des affaires dans une malle afin de les cacher chez une voisine en cas de rafle. Mais à cause d’un mal de dos, mon père ne put la déplacer, et elle est restée dans l’appartement. Le lendemain mon père est venu me chercher au bahut, et m’annonce que Maman et Claudine ont été prises par les Allemands. Il me conduit avec ma tante chez une cliente du Puy, dans la rue Chaussade. Nous avons appris par la suite, que le fils de cette gentille dame, était milicien et collaborait avec l’occupant.
Donc ce sinistre jour, les Allemands et la milice, avaient fait une irruption à la Renaissance. Maman et Claudine ont été arrêtées ainsi que Renée et Maître LEV, nos amis JENNY et Marcel ROSENSTIEL (dentiste). Rassemblés dans l’appartement des LEVY ils ont mis les hommes sur le balcon. Renée LEVY et Maman ont servi des alcools jusqu’à ce que ces individus ne soient plus en état de réagir. Elles ont ouvert la porte du balcon pour libérer les hommes tous ont pu s’enfuir. Suite à cela, Maman et Claudine se sont réfugiées chez M. LASHERMES, maire de Chadrac
Un jour advint où face à ces alertes, ma famille a déménagé de la Renaissance à Ceyssac la Roche (prés du Puy), ceci en 1944, dans une maisonnette de jardin, comprenant une cuisinette minuscule et une chambre des plus étroites qui soient, avec deux lits, un pour mes parents, l’autre pour mes sœurs. Lorsque j’allais leur rendre visite depuis, je couchais par terre, les jambes sous les lits,a/. D’abord ce fut le lycée Charles et Adrien DUPUY, au Puy, où j’ai suivi les études depuis la 3ème, jusqu’en 1ère, dans des classes avec options Latin et Grec. Même si les souvenirs marquants, demeurent les escapades vers les Estables pour le ski, (parfois simplement sur les hauteurs du Puy), ou bien les baignades entre jeunes, je retiendrais la franche camaraderie avec mes condisciples qui savaient que j’étais ‘’un juif’’. Il y avait ce moment solennel ‘’du lever des couleurs’’.
MAIS aussi, l’on faisait chanter dans les écoles, l’hymne à la gloire de PETAIN, cela va sans dire que nous le transformions avec humour, et cette complicité collective nous rapprochait. Je garde un souvenir précis et ému de certains professeurs, entre autres le ‘’père COL’’ professeur de Lettres, (son épouse, Directrice de Collège, avait un moment hébergé ma sœur chez elle), M. DEMEURE professeur de Lettres Classiques, etc. Souvenirs très forts, des jeux, des cris, lors des baignades situées dans le canal de Brives-Charensac, puis dans le canal d’arrivée d’eau des papèteries ‘’TERLE’’ d’Espaly. C’est là que se situaient les entrainements de compétitions de natation. . Mais c’est surtout, suite à mon implication au niveau des Eclaireurs de France laïques (E.D.F.) que j’ai vécu des moments extraordinaires. L’ambiance y était super, pendant les sorties organisées, mais surtout et aussi pour assurer les repas, lors de ces camps en pleine campagne. Bel endurcissement pour apprendre la vie, tant et si bien que de nombreux copains éclaireurs, ont par la suite, participé aux combats. Je garde fortement en mémoire les échanges avec les copains GARDES, TESTARD, ARCIS, J. KAHN, J. FAURE… Mais il y a aussi des rencontres avec des E. D. F. de Lyon, venus en camp en Haute-Loire et qui nous faisaient passer des journaux clandestins. Ce qui m’a conduit, plus tard, à me mêler à quelques actions en faveur de la Résistance.Sur les conseils et l’intervention de l’Inspecteur d’Académie, ce fut le départ pour Brioude, ceci dû en partie, au fait que, le mot ‘’Juif’’ devait-être inscrit sur nos cartes d’identité. Brioude, un autre monde, plus campagnard, mais pas inintéressant pour autant. En effet on nous envoyait, nous les élèves aider à ramasser les pommes de terre, partageant les lieux avec le Collège Agricole. (Claude LANZMAN écrivain, était également élève du Collège et était en classe de Philo avec moi.
De même j’ai le souvenir, que l’on nous demandait en classe Terminale, d’assurer un contrôle de la voie ferrée, en patrouillant de nuit, afin d’éviter des sabotages, tout au moins, de donner l’alerte. – Je ne sais pas qui ordonnait cela, mais c’était un peu la même chose que d’aller contrôler les sacs de récolte de céréales, lors des battages -.Faisant parti d’un groupe de résistants, j’ai été initié, par un camarade de classe, mon chef de dizaine, au maniement d’un pistolet en plein centre-ville. Cocasse non !
Un jour devant me rendre au Puy, pour passer des épreuves du bac, je fus informé qu’il y avait un barrage, à l’entrée de la ville. Il m’apparut alors, que la solution la plus sage était de ne pas passer les épreuves.. La sagesse me fit déménager encore, pour aller m’installer à Paulhac, près de Brioude, chez la Julie, qui me nourrissait très bien, en cette période de crise. C’est le bon abbé GAGNE de MOURGUES, curé de Paulhac, qui me donna des cours de rattrapage et grâce à lui, je réussis enfin mon premier bac. Durant l’été 1943, je fus, pendant un mois, valet de ferme à Largelier de Cohade. Les souvenirs du battage, de ses repas, et de ses beuveries, restent présents dans mon esprit.Mon père par ses divers contacts d’affaire, fut appelé à agir. Il connaissait le Révérend Père PINSON (jésuite), qui lui demanda un jour, de lui prêter sa voiture (une Vivaquatre Renault). Le Père PINSON, possédait l’autorisation de circuler et l’essence, mais pas de voiture. Il en avait besoin pour se déplacer en compagnie du Colonel LUCIEN. Mon père mis les clefs sur la table, et dit au Père PINSON : « Je ne vous prête pas la voiture, volez-la ? Si vous n’êtes pas rentré d’ici deux jours, je porte plainte pour vol et alors, il vous appartiendra de la jeter dans un ravin.» La voiture revint certes, mais emplie de mégots de cigarettes.
Autre anecdote : Deux jours ou trois, avant une prévision de rafle, mon père fut convoqué à la gendarmerie. Le Capitaine lui annonçant la chose, lui conseilla de partir se cacher à la campagne. A la question de mon père : «Avec quels moyens ?», le Capitaine répondit : « Vous oubliez la voiture de la gendarmerie ! ». En réalité, ce sont, ma tante et mon oncle, qui l’utilisèrent, mon père trouva lui, un autre moyen pour déplacer sa famille.Pour ma part, au niveau des Eclaireurs, nous avions des relations avec les Eclaireurs de Lyon. Cela me permit de connaître et de ventiler quelques journaux clandestins, ainsi que des photos du Général de Brigade De GAULLE. Ma sœur avait pu s’en faire signer une par le frère du Général. Je l’ai conservée quelques temps, avant que l’on ne la fasse disparaître, par crainte d’une éventuelle descente de milice et, ou, de la Gestapo.
A Brioude, quelques copains étaient résistants, j’ai fait parti de la dizaine.A la libération du Puy, après quelques jours passés sous les ordres de l’aspirant Paul AURIOL, j’ai rejoint mon ami Ric HEIMMENDINGER, aux F.F.I. dans le ‘’1er Bataillon ANDRE - demie Brigade GEVOLDE ‘’ dans lequel j’ai combattu par la suite. J’ai le souvenir de 2 voitures réquisitionnées, l’une appartenant à LAVAL, l’autre à l’industriel de la ‘’Verveine du Velay’’. Elles furent peintes de couleur verdâtre afin de leur donner un aspect militaire.
Suite à mon engagement, l’une de mes premières activités, fut de surveiller des détenus, dans les locaux de la Poste, là où, mon oncle, ma tante et ma grand-mère avaient été enfermés. Un autre jour, je passais une nuit en prison pour garder des ‘’collaborateurs’’, condamnés à mort. Ce fut très pénible, car j’en connaissais deux d’entre eux. Vinrent ensuite, pour moi et d’autres engagés, les campagnes diverses, depuis Août 1944 à Septembre 1945. L’unité devenant la 7ème Compagnie du 152ème Régiment d’Infanterie ( Les Diables Rouges).Les trocs, les barrages ne sont que des incidents. Il faut surtout retenir les signes forts de l’amitié, mêlée de reconnaissance et de respect, vis-à-vis d’un certain nombre de personnes qui ont pris des risques pour nous venir en aide. Cela à tous les niveaux de la société : depuis les responsables (Inspecteur d’Académie, Capitaine de Gendarmerie, Mgr MARTIN, etc.), jusqu’aux petites gens, à la campagne, et en ville, qui nous ont hébergé. Cette solidarité est capitale, c’est surtout ce qu’il faut retenir.
Tout ceci reste profondément formateur, pour le jeune que j’étais et a crée des liens indélébiles dans cette région, il n’y a qu’à voir : au niveau de l’Association des ‘’Anciens Elèves du Bahut’’, les réelles amitiés demeurent. (La preuve vous êtes là tous les deux.).Retour - Publié le Vendredi 30 Janvier 2009
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