La Gazette du Lycée
"Dix doigts d'une dextérité affolante", est-ce le seul souvenir qui restera, dans notre mémoire collective, de l'époque héroïque de la fondation de la Gazette du Lycée ? Heureusement des exemplaires conservés et de petits carnets de l'époque me permettent de reconstituer cette aventure, fruit d'une très forte camaraderie lycéenne. A l'époque les journaux de jeunes n'étaient pas monnaie courante et les moyens de reproduction rudimentaires. Le groupe s'est créé en classe de troisième, en 1954, il faut bien l'avouer autour d'une équipe de jécistes. Déjà l’année précédente, nous étions allés jouer la Passion pendant la semaine sainte à Saint-Didier-sur-Doulon, avec quelques bons élèves dont Yves Agnès le fils du censeur . On se retrouvait, avec d'autres, dans ma cave pour jouer au ping-pong ou chez Pierre Garnier, pour faire de la musique : Pierre au piano jouait le Feuillet à Elise de Beethoven, Marc Brun au piano et Xavier Rey au violon donnaient les Danses hongroises de Brahms. Le tourne-disque et les microsillons étaient nouveaux pour nous. Le dossier du journal est mûri pendant l'automne 1954. J'ai sous les yeux ce premier numéro, à l'encre bleutée très pâlie, que nous avions tiré le 18 décembre 1954, sur la Ronéo à alcool de l'abbé Gras. Nous avions passé ce samedi après midi dans la petite maison, depuis démolie, que l'abbé Gras habitait au début de l'avenue d'Aiguilhe. M'entouraient, pour fabriquer le journal à ma place et dans une grande excitation : Pierre Garnier, Christian Susini, Pierre Berger, Robert Chouvier, Maurice Randoing, Michel Delorme et mon frère Jean. Le manuscrit avait été tapé à la machine à écrire par nos mères respectives.
Ce premier numéro, non daté comme les suivants, se présente dans le format 21/27, la première page est ornée dans le coin gauche d'un dessin représentant le portail du petit lycée, rue du Bessat, que Jean Monteillard avait réalisé sous les conseils de Roger Gounot et un slogan qui sera répété dans les numéros suivants : PARAIT QUAND ELLE PEUT
INTERDITE PENDANT LES COURS
Dans l'éditorial Maurice Randoing écrivait : "Quelques lycéens ont formé le projet de faire circuler au lycée un journal pouvant intéresser les classes de philo, math, première, seconde et même de troisième.." A la vérité si les 130 exemplaires de la Gazette se sont arrachés dès la première heure au prix de 10 f (francs 1954), à partir des jours qui ont suivi les aînés se sont empressés de revendre en doublant le prix aux plus jeunes des petites classes. Le sommaire était varié, du sport sous la plume de Marc Brun, un camarade qui nous a déjà quitté, une chronique cinématographique d'Yves Agnès et de Robert Chouvier sur Désert vivant de Walt Disney, l'Affaire Maurizius de Julien Duvivier. Christian Susini dans la critique de l'Annonce faite à Marie de Claudel donnée par Jean Dasté, 10 jours auparavant au théâtre du Puy, écrivait : l'histoire de Violaine n'est pas celle d'un amour déçu, d'une jalousie qui se surmonte, mais l'histoire d'une vocation acceptée, d'un sacrifice consenti." Xavier Rey, qui était par excellence le bon élève de mademoiselle Sicard, consacrait la chronique musicale à Vlado Perlemuter, qui avait donné un concert au théâtre le 16 décembre, c'est à dire 2 jours avant le tirage de la gazette. L'article de Xavier Rey commençait par la phrase citée en tête et qui avait le bonheur de nous griser. Pour ma part j'ai consacré un article au lycée vu par Jules Vallès, écrivain qui nous était cher tant par son passé communard que par sa forte évocation de notre pays et du vieux bahut et en conclusion, un autre sur l'humour d'Alphonse Allais.
Le deuxième numéro est sorti le 17 février 1955. Il débutait par une étude sur l'histoire du lycée, dont l'auteur Michel Delorme, docteur en physique nucléaire, fut un brillant élève de notre génération. Les deux pages de sport étaient assurées par Yves Benoît et Pierre Christin. La plume originale de feu Jacques Fombeure critiquait L'Avare donné par le Grenier de Toulouse quelques jours auparavant, il ne craignait pas d'écrire : "l'avis de monsieur Laget est sensiblement le même que le mien..." De mon côté je faisais découvrir à nos camarades la personnalité de l'écrivain et poète Maurice Fombeure, père de Jacques, dont le culte des calembours était un point commun entre le père et le fils. La page musicale était consacré au "Jazz complément de notre culture", un article qui nous paraissait novateur sous la plume de Georges Martin." Le film lui même est un navet .." ainsi débutait mon frère Jean dans sa critique du premier film en cinémascope La tunique.
Daniel Abibon l'un des jumeaux pastichait ainsi Mathurin Régnier pour décrire le bahut :
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" Ensuite dans la cour sous le préau moussu
"Des parties de ping-pong, ministres assidus
"................................................................
"Ces fougueux jouvenceaux, de leurs plaisirs épris
"La raquette à la main se menacent des yeux
"Tel Achille et Hector combattant furieux
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Le troisième numéro parut le 15 décembre 1955. Ce numéro plus beau que les précédents bénéficiait d'une couverture imprimée représentant le cloître du lycée, dessin réalisé par Journet, sous les conseils de Roger Gounot. L'histoire du lycée était continuée par Jean Louis Durand, tandis que Jean-Paul Philippon lauréat des bourses Zellidja donnait des impressions furtives d'un voyage en Allemagne. Le clou du journal était l'interview rédigée par Christian Susini, de René Lesage, metteur en scène de la compagnie de Jean Dasté. Nous pensions inaugurer une carrière de journalistes, d'écrivains. Françoise Sagan, qui appartenait à notre génération, nous donnait l'exemple en cette année 1955 avec Bonjour tristesse. Après la chronique cinématographique signée de Pierre Garnier, sur Marianne de ma jeunesse de Julien Duvivier, Guy Crouzet nous gratifiait d'une Andromaque travestie :
"Songe, songe, vieux frère, à ce jour de DKL
"Qui fut pour le lycée un jour de carnaval.
".............................................................
Nous avions le 7 mars 1956, Christian Susini et moi, raté de peu l'interview de Gilbert Bécaud qui tournait un film, Le Pays d'où je viens, avec Françoise Arnoul, la beauté naissante de cette époque. Il avait quitté l'hôtel Bristol depuis une heure. Nous décidons d'appeler au téléphone, de la grande poste, mon frère Jean :
" m. de Seauve, ici Gilbert Bécaud, vous deviez me rencontrer ?
- Mon frère est parti, il y a quelques minutes pour le faire
- Je n'ai pas le temps, prenez les notes au téléphone, etc. etc."
Dans la cabine, nous étions pliés en deux de rire, la main sur le combiné pour étouffer nos éclats. En montant rue du Bessat nous croisons Jean qui descendait à notre rencontre. La mine déconfite, nous nous mordions les lèvres pour cacher notre hilarité. "Vous avez raté Gilbert Bécaud, il m'a donné un entretien au téléphone !" Nous lui conseillons de rédiger tout de suite son article. Mon frère était bon garçon, mais le plus vexé fut mon père, il avait informé le conseil municipal, lors de sa réunion, que son fils avait interviewé Gilbert Bécaud et que celui-ci lui avait annoncé ses fiançailles avec Françoise Arnoul !
Chaque numéro était terminé par une page de blagues, signée le petit plaisantin. Celle-ci, dont Pierre Gérôme, était l'auteur me fait rire encore : un anglais débarque place Michelet et demande à un paysan : "Do you speak english ?
-Nou speïta lou car !"
A l'époque nous parlions patois, soit du fait de vacances pendant la guerre, dans la campagne vellave, soit parce que les internes pratiquaient ce langage.
Avec Christian Susini nous étions allés présenter la Gazette, en janvier 1956, au président des anciens élèves du Lycée, Michel Pomarat, procureur de la République au Puy. Nous étions très émus, en jeunes gens bien élevés, nous avions conservé pendant tout l'entretien le sourire aux lèvres. En sortant du tribunal, joues et lèvres tremblaient ! Avec l'aide financière détournée des anciens élèves du lycée le soir du bac s'est tenu le banquet de la Gazette du Lycée, chez Roger Pestre au Cygne. Il y avait autant de cadavres de bouteilles sur la table que de cadavres clandestins dessous, parce que l’un de nos camarades, Pierre Garnier, était fils de marchand de vin. Je ne me souviens plus quels propos l'Eveil avait écrit, l’année précédente, sur le monôme du bac. Cette année là nous avons pris notre revanche en entraînant le monôme au milieu des rotatives du journal. Pour nous faire déguerpir, sans dommages, l'Eveil nous a proposés de nous photographier sur les marches du lycée de jeunes filles. Au premier plan de la photo je vois Christian Susini qui porte fièrement sur le crâne un chapeau piqué dans la 2 CV Citroën de Michel Versepuy, que nous avions un peu secouée. L'année suivante, étudiant à Paris, je n'ai pas participé au monôme, mais nous attendions au restaurant pour le traditionnel banquet, quand j'ai appris qu'un de nos camarades, fils d'un directeur de l'EDF, était retenu au commissariat de Police. Il avait jeté maladroitement un pétard dans le hall du Family et une femme s'était plainte, pour atteinte à ses varices. Il fallait le sortir des "griffes". Devant le commissariat il y avait une foule d'étudiants, retenus à distance sur le pont Saint-Barthélemy, qui scandaient les slogans habituels contre la police. Je propose au commissaire d’accepter de relâcher notre camarade si je disperse la manifestation. Septique, il donne son accord du bout des lèvres. Je vais au-devant des manifestants pour leur demander de s’en aller pour nous permettre de récupérer notre camarade et d’aller banqueter. Plusieurs, plus excités martelaient : "les flics en Algérie - Pourquoi n'y vas-tu pas toi-même ? Je suis trop jeune. - A ton âge, tes anciens étaient déjà sur le front en 14." Cela a suffit pour qu'ils s'en aillent.
En relisant les articles publiés, la silhouette de l'auteur se dessine, sa finesse d'esprit ou la solidité de son caractère. Je suis émerveillé par la qualité de ce que nous avons pu écrire, j'ai oublié que ce n'était pas très original, mais la critique de nos camarades nous remettait les pieds sur terre. En effet, nous faisions circuler un numéro parmi les élèves pour qu'ils puissent critiquer et exposer leurs desiderata. J'ai conservé ainsi les numéros 1 et 3 dans lesquels l'esprit d'humour et la verve des lycéens fusent dans leurs remarques. Souvent les critiqueurs se répondent entre eux.
Après le départ de ma génération, la gazette fut l’œuvre de Jean-Louis Durand, qui a terminé se carrière conseiller à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, avec un numéro sur un voyage du lycée en Italie, de plus brillantes interviews, comme celui de l'acteur Jean Tissier et de Maurice Genevoix. Plus tard furent publiés des poèmes d'élèves, qui n'étaient plus des pastiches. Elle a du continuer pendant de nombreuses années, puisque j'ai un numéro de 1974 qui nous avait été vendu lors d'une Saint-Charlemagne. Certes nous faisions un peu de politique, mais avec discrétion et tolérance. Alors que dans ce numéro de 74 figure, en deux articles, une violente diatribe contre Soljenitsyne qui : "Dans l'Archipel du Goulag apparaît nettement pour ce qu'il est : un ennemi du socialisme". Pourtant nous n'étions pas étrangers à la politique. Nous avions des élèves qui venaient d'Algérie et dans la classe de philosophie de Pierre Picon, de très bons élèves auraient du avoir de bonnes notes, mais pourquoi glissaient-ils dans leurs devoirs de façon incongrue et hors sujet "Algérie Française" ? Nous avions aussi des noirs dont Paul Kaya fut notre aîné à la Jec, puis ministre au Congo Brazzaville et, un musulman de confession, Djallo Soba, qui hélas nous a quitté.
Nous voulions aussi faire un film sur le lycée, mais ce n'est pas allé plus loin que de filmer les ébats d'une chèvre à Chamblaise de Cussac, où nous nous étions rendus en voiture, conduits par un camarade qui n'avait pas de permis de conduire. Robert Chouvier en a réalisé plusieurs, plus tard, avec ses élèves d'un collège de Saint-Etienne. Nous avions, lors d'une ultime visite avec Christian Susini, à son chevet à l'Hôpital Bellevue, évoqué ces souvenirs.
La Gazette reflète bien le mode de penser de notre adolescence en parallèle à l'enseignement des professeurs qui comme Jean Sigaux et Jacques Chomarat nous ouvraient de brillants horizons. L’avenir nous appartenait, le présent n’était, dans cette petite ville, pas très encombré. Je reste attendri par cette limpidité de jugement de notre jeunesse, je l’ai dit ce n’était pas original, mais c’était péremptoire. Auguste Rivet, en cours d'instruction civique, avait essayé de nous initier au monde politique, je me souviens d'une classe houleuse sur la presse où la passion dominait notre ignorance. Jacques Chomarat, en classe de seconde, sur mon livret scolaire notait : "Suit une voie personnelle en marge des programmes scolaires." Arrivé en fin de vie professionnelle, n’ayant plus de comptes à rendre, je puis l’avouer : c’est un cap que j'ai tenté de tenir tout au long de ma vie.
1) Cf. évocation de la Gazette du Lycée par Christian Susini dans le bulletin de L'Association Fraternelle des Anciens Elèves du Lycée Charles et Adrien Dupuy, n° 18, janvier 1985, p.62.
2) Nous avons continué, sous le nom de Compagnons de la Trinité et sous la conduite d'Henri Amet scolastique à Vals, les années suivantes : 1954 Allègre dont le curé était l'abbé Jolivet, ancien aumônier du lycée, 1955 Saint-Vert, 1956 Cistrières, 1957 Auzon et 1958 Saint-Geneys, avec la même équipe lycéenne, des camarades ayant remplacé d'autres.
Retour - Publié le Vendredi 14 Novembre 2008
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